La terre entre les mains
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Quand on entend « made in China », ce qui vient d’abord à l’esprit, c’est la grande production industrielle, la qualité sacrifiée à la quantité, les usines bondées aux conditions de travail difficiles.
Et pourtant, il y a un tout autre « made in China ». La Chine est aussi, est d’abord, le pays d’un savoir faire traditionnel extraordinaire, relayé par des artisans d’exception. C’est cet autre made in China dont je voudrais parler aujourd’hui, à travers l’histoire de ma rencontre avec un artisan : Fayun Yang.
Fayun a grandi en Chine, dans une ferme avec sa famille. Depuis son plus jeune âge, ses mains ont joué avec la terre. Dans la terre de ses ancêtres, Fayun modelait de petits animaux avec sa grand-mère pour apprendre leurs noms et leurs caractères. La terre produit le fruit de la récolte, soigne les corps et apporte le bien-être, érige les murs qui fortifient le foyer. Cette matière sacrée est vectrice de savoir.
Cette terre Fayun l’a apprivoisée entre ses mains comme un être vivant. Il lui parle, lui sourit. Fin connaisseur de ses propriétés techniques, il en est devenu un maître, reconnu comme artisan et sculpteur, jusqu’à enseigner son savoir-faire à l’université.
Mais, malgré lui, Fayun a dû quitter sa terre. En désaccord politique avec le régime chinois, il refuse les commandes de l’art officiel, et participe à des manifestations interdites. La sentence tombe : il doit quitter le pays, avec sa famille.
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C’est en 2018 que j’ai rencontré Fayun, à Paris. Réfugié politique en France, il a été pris en charge par l’association « La Fabrique Nomade », fondée en 2016 pour favoriser l’insertion des artisans réfugiés. Chaque année, une « promotion » est constituée, avec des designers bénévoles et des artisans, qui travaillent en binôme sur un projet de création, exposé et vendu ensuite au profit de l’association.
Notre collaboration a été une extraordinaire aventure humaine. Il a fallu apprendre à communiquer – Fayun ne parlant que quelques mots de français. Un regard, un dessin, un geste, un rire suffisent parfois à en dire long ! J’ai découvert son savoir-faire très particulier, qui combine celui du céramiste et du dînandier. Sur le métal comme sur la terre, il travaille la surface, sa forme, son ornement, par des motifs gravés, burinés ou modelés. Il a fallu s’adapter, apprendre aussi, car la terre de France ne se travaille pas comme la terre de Chine – et le four électrique n’a rien à voir avec le four, brasier au feu de bois de l’université de Pékin !Nous avons décidé de créer ensemble un vase, que nous avons appelé Hua (hua signifie « fleur » en chinois). C’est une pièce bi-matière, qui met en valeur toute la palette de son savoir-faire. Le contenant en céramique est sculpté à la main, tandis que les anneaux de cuivre qui viennent l’habiller sont passés au feu puis marqués à l’aide d’emporte-pièces ou de poinçons. Chaque vase est ainsi une pièce unique racontant, grâce à l’intervention de l’artiste, la patine aléatoire du temps qui s’exprime ici sur les matériaux.
Du made in China au made in France, partout la terre est d’or entre les mains d’un artisan de talent !